Dans l’année 1890, les écuries centrales de PortauPrince que dirigeait Émile Luders se trouvaient à l’angle des rues du Peuple et des FrontsForts. Emile Luders(Fils d’un Allemand et une Haitienne) avait un employé, un cocher qui s’appelait Dorléus Présumé et il avait 19 ans. Le 21 septembre 1897, dans l’avantmidi, deux agents de police entrèrent dans les écuries centrales pour procéder à l’arrestation de Dorléus Présumé suspecté de vol. Alerté par le vacarme qui se produisait au rezdechaussée, Emile Luders descendit, fou de rage, pour s’opposer à l’arrestation de son employé. Malgré tout, il a été conduit de force au bureau de la police.
Un peu plus tard, Luders se présenta personnellement au bureau de la police pour réclamer avec arrogance et propos outrageux la libération pure et simple de son employé. Il fut lui aussi appréhendé pour délit de rébellion avec violence, coups et blessures contre les policiers et déféré devant le juge de paix qui le condamna à un mois de prison doublé d’une amende de 48 gourdes. Il fit appel de la décision et a quand même écopé d’un an d’emprisonnement le 14 octobre 1897.
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Trois jours plus tard, l’Allemagne intervint dans le dossier avec l’appui desUSA pour demander l’annulation de la sentence, la révocation du verdict, la libération de Luders, la révocation des policiers qui avaient procédé à l’arrestation et la mise en disponibilité des juges qui avaient prononcé la décision.
Le président Tirésias Simon Sam, pour éviter les conflits diplomatiques, ordonna la libération de Luders qui quitta le pays le 22 octobre 1897. Très peu satisfait de la décision, parce que ni les policiers ni les juges n’avaient été révoqués, le chargé d’affaires allemand Count Schwerin exigea le 6 décembre 1897 du gouvernement haïtien :
1) le retour d’Émile Luders dans le pays parce qu’il est né de mère haïtienne et de père allemand;
2) une rançon de 20 000 dollars à verser à l’Allemagne pour manque d’égard;
3) la salutation du drapeau allemand de 21 coups de canons;
4) une lettre d’excuse adressée au gouvernement allemand;
5) une cérémonie officielle organisée en l’honneur du chargé d’affaires allemand Count Schwerin.
Le gouvernement haïtien n’avait que quatre heures pour réagir. En cas d’acceptation, il hisserait un drapeau blanc au mât du Palais national, dans le cas contraire, les navires de guerre allemand Charlotte et Stein qui avaient jeté l’encre sur les côtes haïtiennes bombarderaient le pays. La nation était prête à lutter pour l’honneur et le respect de la patrie mais le président Sam capitula sans aucune forme de procès et perdit le pouvoir quelque temps plus tard.
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Bien que le gouvernement haïtien exécutât à la lettre, les exigences de l’Allemagne, le lendemain de cette affaire et après que les deux navires de guerre allemand eurent quitté les côtes marines haïtiennes, on retrouva le drapeau haïtien sali, piétiné et baigné de matières fécales.
L’affaire Luders reste et demeure une honte pour le pays, pour la diplomatie, pour la communauté internationale, une profanation pour le drapeau national. Elle a prouvé, une fois de plus, que depuis longtemps les dirigeants haïtiens ont souvent manqué de courage dans la défense des intérêts supérieurs de la nation. Et jusqu’aujourd’hui aucune réparation n’a été ni envisagée ni sollicitée. Nous avons toujours cette boue sur nos visages ; cette humiliation qui coule comme du sang dans nos veines ; cette tristesse, comme un deuil éternel dans nos cœurs ; cette honte dans nos regards et ces matières fécales sur notre bicolore… Il faut des et des générations d’Haïtiens éduqués et motivés pour soigner cette blessure profonde et redonner à ce peuple toute sa dignité et sa fierté.
References:
http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/137583/Les-vautours-du-6-decembre
Affaire Luders par Solon Menos:
laffaire_luders_par_solon_menos_bpt6k61352401
S.M.S. Stein (Navire de guerre allemand)